Par steph6987
Mise à jour le 18-02-2015
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Cette fiche d'analyse du Feu d'Henri Barbusse poursuit la description de la guerre commencée dans la partie 1, ainsi que la place de la guerre et de la littérature dans le Feu.
Plan du document :
1. La contre épopée du corps
2. La mort mécanique
3. Une poétique de l'horreur
II. Guerre et littérature dans le Feu
1. La guerre de 1914 : une guerre de lettrés
2. Le Feu et la littérature face à la propagande
3. Dire la vérité de la guerre
4. Ecrire la guerre : oublier, condamner, commémorer
La réalité de la guerre : tranchées, champ de bataille et cantonnement.
Les soldats sont très cantonnés. Le monde de la guerre, ainsi que le décrit le chapitre 2 « La terre », se réduit à un décor de boue, de mares, de fossés. Les conditions matérielles de vie sont extrêmes, l'eau arrive même à tuer les soldats, alors que les tranchées sont faites pour les protéger. Elles deviennent des pièges effroyables et les combattants sont des errants de marécage. Les soldats sont contraints de s'y enterrer au sens propre, y vivent comme des « troglodytes sinistres émergeant de leurs cavernes de boue ».
La pluie transforme le champ de bataille en une inondation universelle, elle constitue l'expression la plus horrible de la guerre :
« À une époque, je croyais que le pire enfer de la guerre ce sont les flammes des obus, puis j'ai pensé longtemps que c'était l'étouffement des souterrains qui se rétrécissent éternellement sur nous. Mais non, l'enfer, c'est l'eau. » « Il pleut, toujours de la pluie qui se colle dans mes souvenirs à toutes les tragédies de la grande guerre. »
Même les cantonnements où se replient les hommes après des heures de marche sont des lieux humides sans confort. De même la grange où les soldats sont comparés à un chien.
Barbusse ne recule pas devant l'évocation du stercotaire : l'urine et ses odeurs font partie intégrante de la vie de soldat, comme les excréments. Pour les hommes chargés d'un nouveau terrassement et qui doivent libérer la tranchée pour ceux qui montent aux lignes, force est de s'engager dans des feuillées, lieux d'aisance à l'air libre, ce qu'un soldat résume par un « en avant dans la merde ». Pour représenter ces hommes dans leur réalité vivante, Barbusse, après Zola qu'il admirait avant tout et avant Céline qui l'avouait pour maître, fait le choix d'un langage bien spécifique !
Rien dans ce que vivent les soldats ne tient compte des besoins vitaux de l'être humain : manger, boire, dormir. Condamnés à survivre comme ils le peuvent au jour le jour, les hommes sont confrontés à la fragilité du corps humain devant la blessure de la mort. Attendue, rêvée, la nourriture est généralement le moment de la désillusion. La triste réalité transparaît au travers du vocabulaire utilisé : « becqueter », « la croûte », « la soupe », « la bectance », « la bidoche », « des fayots à l'huile, de la dure, bouillie et du jus ». Le repas reste un moment de bonheur où le soldat oublie :
"Ils ne disent rien, d'abord occupés tout entiers à avaler, la bouche et le tour de la bouche graisseux comme des culasses. Ils sont contents"
Le reste du roman montre les hommes, au front ou au cantonnement, mal nourris ou affamés :
« On avait faim, on avait soif, et dans ce malheureux cantonnement, rien ! »
Obsédés par la faim et la soif, contraints de se protéger avec tout ce qu'ils trouvent, devenus des « as de la débrouille », les hommes se dépouillent de tout scrupule quand l'occasion les y oblige : les bottes de Poterloo ont une histoire atroce, provenant « des jambes du macchab qui se sont décollées aux genoux... et dont il a fallu vider les jambes et les pieds d'dans ».
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Les machines de guerre produisent des cadavres dans une mesure inimaginable. Les chapitres 19 et 20, « Bombardement » et « Le feu », en donnent un aperçu. Et ce n'est pourtant rien comparé à Verdun, ainsi que le dit le nouveau sergent. Il y a des représentations infernales, comme celles mises en œuvre dans le débat entre Farfadet et Barque sur les moyens loyaux et déloyaux de la guerre :
« Quand on a vu des hommes défoncés, sciés en deux, ou séparés du haut en bas, tendus en gerbes par l'obus ordinaire, des ventres sortis jusq'au fond et éparpillés comme à la fourche, des crânes rentrés tout entiers dans l'poumon comme à coup de masse. »
Les vivants sont sans cesse obligés de côtoyer les morts. Morts sur lesquels les vivants se battent, qui tapissent le sol, car le front est devenu un charnier à ciel ouvert.
Barbusse met en scène par une poétique de l'horreur cette mort aveugle où l'individu perd sa dignité et son identité, son unité corporelle.
Le choix des mots est souvent édifiant. Décrivant le cadavre de Barque, le narrateur s'arrête sur ses « yeux ébouillantés, saignants et comme cuits ». La « face bossuée » de Biquet, déformée par « un spectre de cri », laisse voir ses « yeux ternes et troubles, des yeux de silex ». Le plus terrible est le champ d'ossements humains laissés à même le sol par l'offensive de mai. Ainsi s'instaure entre les vivants et les morts déchiquetés par le feu, un compagnonnage constant, atroce, mais parfois salvateur dans le désespoir même : pour les hommes de la corvée, le soutien vient en effet de ceux qui les ont précédés. Le contact du cadavre devient, pour le narrateur, l'expérience déchirante de l'inhumain :
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Bien que l’intérêt suscité par les témoignages contribue à le faire oublier, la guerre de 1914-1918 est aussi un événement littéraire, dont le souvenir, frappé du sceau du deuil, s’inscrit dans de nombreux romans du XXème siècle.
Elle est notamment au cœur de romans que d’anciens combattants ont publié bien après l’armistice comme Le grand troupeau de Jean Giono (1931) ou Voyage au bout de la Page 6 sur 11 nuit de Céline (1932). Mais elle est aussi au cœur de textes écrits sur le moment, qui peuvent être tenus pour des témoignages ou pour des fictions, à commencer par Le feu (1916) de Barbusse.
Plus que d’autres, ce roman a fait date. L’intérêt qu’il éveille est aussitôt suivi par l’obtention du prix Goncourt (1916) et par un large succès de librairie. En effet, 200 000 exemplaires en sont vendus entre 1916 et 1918 et son tirage atteint les 350 000 en 1934, à la veille de la mort de Barbusse.
Par ailleurs, Le feu est un livre par rapport auquel tous les romans ultérieurs de la Grande Guerre ont eu à se situer.
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Raymond Poincaré invite les Français à dépasser leurs divisions et proclame le 4 août 1914 l’Union Sacrée, une union qui crée une situation politique nouvelle dont témoigne le ralliement des socialistes à l’intérêt national et une situation de communication inédite qui interdit le débat et la polémique.
Le 5 août 1914, la censure se renforce : est votée une loi contre les « indiscrétions de la presse ». Elle interdit d’évoquer précisément les pertes humaines et le détail des opérations militaires. Un bureau de la censure est créé au ministère de la Guerre et diverses commissions dans chacune des régions militaires. Le travail des censeurs, dont témoignent des « blancs » laissés dans la presse et dans des livres, contribue à l’élaboration d’une pensée officielle qui oriente l’opinion, maintenue dans l’optimisme, autant qu’elle la contrôle.
En même temps qu’il demande à tous ceux qui ont le pouvoir de s’exprimer de parler d’une seule voix, Poincaré leur fixe le devoir de soutenir les efforts politiques, diplomatiques et stratégiques des autorités civiles et militaires ainsi que de conforter le moral des combattants. L’Union sacrée donne ainsi naissance à un discours patriotique qui exalte les valeurs nationales.
Afin de ne pas porter atteinte au moral des troupes et de la population les horreurs du combat sont passées sous silence et les échecs des offensives présentés comme des victoires partielles, quand au contraire les atrocités commises par les Allemands sont abondamment commentées et leurs pertes humaines et matérielles toujours grossies. Le discours de la propagande est revanchard et haineux.
Comme l’indique Barbusse, Le feu est une œuvre de résistance au discours de la propagande (pour nuancer ce point de vue, voir sur digiSchool la fiche suivante sur Barbusse : « Demm, Le feu de Barbusse, dernier canon de la propagande). Sans rompre le pacte de l’Union sacrée, son roman tente de substituer « un idéal humanitaire et libéral au déroulèdisme borgne et crétin » afin « d’aider les soldats à accomplir leur devoir » (Barbusse, dans les Lettres à sa femme).
Dans les mois qui suivent la parution du Feu, Barbusse ne cesse de répéter qu’ « il faut que les écrivains [...] disent la vérité » et que son livre est un livre de vérité sur la guerre :
« Camarades, dont j’ai partagé la vie et les pensées [...], vous avez aimé mon livre parce que c’est un livre de vérité. Vous y avez reconnu votre misère et votre souffrance, vous y avez reconnu la grande guerre telle que vous l’avez faite. » (Paroles d’un combattant, Articles et Discours, Barbusse)
Cette vérité dont les combattants veulent être les garants est aussi difficile à dire qu’à faire entendre. Parce qu’ils sont lus sur le fond des chansons patriotiques qui circulent au sein des régiments et des troupes, des textes cocardiers que publie la presse nationaliste, ou des caricatures de l’ennemi que donnent les journaux illustrés, les livres qui s’efforcent quant à eux de dire la vérité de la guerre sont placés dans une situation de communication délicate.
Dans ce contexte, les écrivains, soucieux de desserrer l’étau de la propagande, courent le risque de passer pour des menteurs ou, pire encore, pour des défaitistes, des pacifistes et des traîtres. Autant d’attaques dont Barbusse sera l’objet. Il leur faut donc, à ces poilus écrivains, trouver le moyen de se rendre crédibles et, pour ce faire, discréditer les discours qui exaltent la guerre et le sacrifice humain qu’elle suppose de la part des soldats engagés.
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Le feu fait passer une nette frontière entre deux univers bien distincts qui se côtoient sans arriver à se comprendre : celui, d'une part, des soldats et des combattants qui connaissent l'expérience du front mais qui ne peuvent que bien difficilement la transmettre, celui d'autre part, de ces civils qui n'acceptent pas d'entendre parler de la guerre en des termes autres que ceux auxquels la propagande les habitue.
Au moment où il écrit son roman, Barbusse sait qu'une fois la victoire obtenue, il circulera dans un monde rendu à la vie civile, dans un monde où il ne s'agira plus de dire la vérité de la guerre mais d'ancrer son souvenir dans les mémoires et d'engager le combat contre les forces, celles de l'oubli et celles des nationalismes, qui pourraient menacer le rétablissement de la paix et surtout empêcher le message humaniste selon lequel la guerre devra à tout prix êtré évitée dans le futur, quel qu'il soit :
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